Je vous dis que si deux se mettent d’accord ici, sur terre, pour demander quoique ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est dans les cieux. Car dès que deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux. [1]
Cette parole s’adresse à tous mais particulièrement à ceux qui sont mariés puisque la réalité du sacrement de mariage est bien d’être deux accordés dans l’amour et réunis en Son Nom. Elle concerne notre couple mais aussi notre famille. Lorsque nous sommes unis dans la prière, Jésus s’engage à une double promesse : Il nous assure que Son Père répond à nos demandes et qu’Il est présent au milieu de nous.
Quelle promesse ! Il est parfois difficile d’y croire au regard de nos propres expériences et de nos prières, nous les trouvons souvent si peu exaucées !?
Les apôtres eux-mêmes interpellaient Jésus après leurs tentatives infructueuses pour guérir un jeune garçon. Jésus ayant guérit l’enfant, pointe du doigt la source de leur impuissance : c’est à cause de la pauvreté de votre foi [2] ! Accueillons ces paroles vigoureuses du Seigneur à notre égard, implorons-Le comme les apôtres : augmente en nous la foi [3] !
Et St Jacques nous exhorte à son tour : vous demandez et ne recevez pas parce que vous demandez mal, afin de dépenser pour vos passions [4]. St Jean, plus positif, explicite davantage : si nous demandons quelque chose selon Sa volonté, Il nous écoute [5]. La prière repose non seulement sur notre foi mais aussi sur la purification de notre cœur pour bannir toute demande dont l’objectif serait de servir notre “bon plaisir” ou nos arrangements personnels, aussi généreux soient-ils. Ainsi, la prière en couple et en famille n’est pas une occasion pour « passer des messages » à nos proches, l’effet serait dévastateur ! La prière « selon la volonté et les desseins du Seigneur » est le fruit d’un lent et profond travail spirituel d’écoute, d’abandon et de conversion.
Jésus indique deux conditions pour que notre prière conjugale et familiale porte du fruit : se mettre d’accord, et se réunir en Son Nom.
Que serait en effet notre prière si nous ne sommes pas – mari et femme d’abord, puis avec nos enfants – unis dans l’amour, si nous ne sommes pas “accordés” comme les instruments de musique s’apprêtant à jouer de concert ? C’est notre vocation conjugale que de réaliser le une seule chair de la Genèse, communion dans l’amour : ne pas y répondre entraîne une certaine forme de stérilité de notre prière.
Quand tu vas te présenter à l’autel, si tu te souviens que l’autre a quelque chose contre toi, laisse-là ton offrande devant l’autel et va te réconcilier avec ton frère ; alors tu viendras présenter ton offrande [6]. Oui, tournons-nous ensemble vers le Seigneur pour Le prier mais assurons-nous d’être mutuellement “accordés” dans l’amour, le pardon, la vérité, … En famille c’est une vraie grâce : prier ensemble nous permet de nous reconnaître humblement à égalité devant Dieu et nous demander mutuellement pardon. Se réconcilier avant de se coucher, c’est une recommandation de la Parole qui en est ainsi facilitée : ne pas se coucher sur sa colère, pas de meilleur moyen pour dormir en paix !
Jésus insiste sur la nécessité de se réunir en Son Nom : le Christ a pris non seulement un Visage mais aussi un Nom ! Proclamer la Bonne Nouvelle en Son Nom, l’invoquer, c’est faire mémoire de son œuvre, actualiser la grâce du salut : quiconque invoquera le Nom du Seigneur sera sauvé [7]. Prier ainsi “au Nom du Seigneur” affermit notre foi dans le Christ Sauveur.
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Qu’ils soient un comme nous sommes un
La prière en famille s’appuie en premier lieu sur notre prière conjugale. L’une n’exclue pas l’autre, bien au contraire ! Notre sacrement de mariage est le pilier de notre vie de famille. Prier en couple, c’est puiser à la source même de l’amour qui nous unit : nos limites et nos pauvretés, les vents contraires ou la lassitude sont autant de possibilités de voir notre amour s’affadir. Comme à Cana [8], l’eau de notre prière emplit nos jarres pour que le Seigneur la transforme en vin des Noces : Lui seul peut remplir chaque jour notre cœur d’amour pour notre conjoint. Trop de couples pensent que l’amour pour l’autre vient de soi-même. Lorsque nous prenons conscience que notre amour conjugal vient d’abord de Dieu, nous changeons notre regard sur notre prière. Comme pour la veuve rencontrée par Elie dont la jarre de farine ne s’épuisera plus après le repas offert au prophète [9], ainsi notre amour ressourcé dans la prière conjugale devient-il inépuisable !
Prier en couple est un rempart spirituel qui nous protège de la division, redoutable ennemie du mariage. Il nous appartient de trouver notre rythme de prière, la forme qu’elle peut prendre selon les situations, les personnalités, les sensibilités. A chacun ses “trucs” pour se rappeler ce rendez-vous régulier avec le Seigneur ; soyons clairs, la question du manque de temps est en fait un faux problème [10] se résumant souvent à un manque d’organisation et surtout de motivation.
Enfin, chassons cette fausse pudeur concernant la prière partagée. Pour les générations précédentes prier ensemble était simple, mais parler de sexualité ne “se faisait pas” ; aujourd’hui, confessions intimes et expériences sexuelles s’affichent à la une des magazines alors que parler de la prière devient incongru, presque “inconvenant”, même avec son conjoint. Beaucoup se sentent agressés par une prière partagée, comme si l’on brusquait leur intimité, ils se sentent paralysés dès lors qu’il s’agit de se tourner ensemble vers Dieu. C’est de fait une réelle difficulté au sein même de couples chrétiens et c’est un vrai combat en famille.
Mais l’enjeu de cette prière est capital : ce n’est qu’en recevant de Dieu la nourriture au jour le jour que nous serons en mesure de dépasser nos petitesses et nos difficultés familiales pour nous aimer. Disputes, accrochages, maladresses, irritations, emportements, jalousies… émaillent nos journées en famille. Nous rêvons tous d’une famille unie, aimante, délicate, attentive à chacun… Ce rêve est la promesse de Dieu pour nos familles, nous ne pouvons l’atteindre qu’en déposant encore et toujours nos faiblesses devant Lui, qu’en renouvelant nos pardons mutuels, qu’en apprenant à nous recevoir les uns les autres comme merveilles aux yeux du Seigneur. Parents et enfants, fils et filles du même Père, grandissant ensemble sous son regard, se nourrissant de la prière de chacun, trésor partagé qui nous apprend à poser un regard plus juste sur nos proches. La prière est le moyen humble que Dieu nous donne pour refaire notre unité et recevoir de lui la joie de nous aimer.
Dans ce domaine de la prière, beaucoup redécouvrent avec bonheur et dans la simplicité la grâce de l’imposition des mains, geste non-sacramentel [11] des baptisés, invoquant la bénédiction de Dieu, intercédant pour celui qui se confie tout simplement à la prière de ses frères et sœurs dans la foi. Nous avons, parmi beaucoup d’autres, la joie d’exercer de temps à autre le “ministère” ordinaire de cette prière à l’occasion d’un passage difficile ou troublé, d’une décision ou réunion importante, d’un engagement ou d’une nouvelle étape. Point de charisme particulier ou exceptionnel, mais une réponse en toute simplicité à la vocation de tout baptisé exerçant son ministère de prière et d’intercession.
Par ce geste, en demandant à Dieu de venir bénir notre conjoint ou notre enfant, en invoquant pour lui l’Esprit-Saint, en confiant sa difficulté au Nom de Jésus, nous croyons humblement mais fermement à la parole du Seigneur : ce que vous demandez avec foi, vous l’obtiendrez [12].
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« Epoux vous devez naître de l’Esprit Saint. Pères et mères sont les premiers témoins et ministres de cette nouvelle naissance dans l’Esprit Saint : vous qui engendrez les enfants dans leur vie humaine, n’oubliez pas que vous les engendrez aussi pour Dieu ! » [13].
Comme nous le rappelle Jean-Paul II, nous avons la responsabilité d’enfanter nos enfants à la vie spirituelle et à la prière. Ainsi, c’est d’abord au sein de la famille que se transmets l’Evangile. Par la vie quotidienne, les choix de vie, la charité vécue, nous transmettons par l’exemple ce que notre foi nous conduit à mettre en œuvre. Et la prière qui irrigue nos journées en est le premier témoignage. Prier en famille, célébrer ensemble les mystères de Dieu, cela ne se résume pas à quelques moments sporadiques. La prière est naturelle : elle jaillit dans la louange lorsque nous arrivons ensemble au sommet de la montagne exprimant notre admiration devant tant de beauté, elle surgit lorsque nous entendons les sirènes d’une ambulance, elle s’impose lorsqu’une bonne ou mauvaise nouvelle arrive dans la famille, elle célèbre chaque jour qui se lève, elle ouvre chacun de nos repas et conclut chacune de nos journées… bref, elle se glisse sans cesse dans notre quotidien car Dieu habite notre quotidien et vit tout avec nous, nous invitant à tout vivre avec Lui.
La prière est aussi faite de toutes ces liturgies domestiques qu’il nous faut inventer pour imbiber notre vie familiale de prière et d’action de grâce [14].
La prière familiale permet d’initier nos enfants à la vie intérieure, à la richesse de l’écoute de la Parole, à la beauté du chant des psaumes et de la prière de l’Eglise. Apprenez à un enfant à prier seul, jamais il ne l’oubliera. Combien de « recommençants » nous ont-ils confié que depuis leur plus jeune âge ils n’avaient cessé de prier lors de moments importants de leur vie car leurs parents, une catéchiste, une religieuse ou un prêtre, le leur avait appris. La prière familiale ne supprime donc pas ce temps de solitude de l’enfant avec son Seigneur. Parents, nous sommes appelés à privilégier ces occasions pour permettre ces instants où nous laissons nos enfants rencontrer leur Seigneur dans l’intimité. Notre rôle n’est-il pas de les conduire à faire l’expérience personnelle de la rencontre intérieure avec le Christ ?
Mais organiser la prière en famille pour que nous ayons un rythme familial minimal est une vaste question, largement débattue et Oh combien complexe ! Une seule certitude : il n’y a pas de solution “miracle” et surtout aucune solution figée dans le temps ; presque chaque année il faut remettre le sujet sur le tapis et réadapter notre organisation en fonction des changements. Il est judicieux néanmoins, de clarifier certains points de repère qui permettent de poser des décisions et de s’y tenir.
Récitez entre vous des hymnes, des psaumes et des cantiques inspirés ; chantez et célébrez le Seigneur de tout votre cœur [15]. La louange nous apparaît, à l’expérience, déterminante, dans nos communautés ecclésiales bien sûr, mais plus particulièrement dans nos familles et au sein de nos couples.
Nos vies sont bien souvent sous pression permanente, nos rythmes de familles sont des tourbillons de rentrées-sorties, de tâches et d’activités différentes, jonglant avec des attentes contradictoires qui engendrent parfois incompréhensions, tensions ou conflits ! Une louange régulière et commune est pour la famille un vrai contre-poison spirituel. Le chant de louange décentre de nos bobos et nous recentre sur les dons infinis de Dieu : bénédiction que de le connaître, de se savoir infiniment aimés, de vivre dans la liberté des enfants de Dieu, de savourer l’ivresse que donne l’Esprit, de goûter la joie de vivre et d’être ensemble, de nous aimer malgré nos pauvretés, etc. La louange, comme l’exprime l’apôtre Paul dans sa lettre à la jeune communauté d’Ephèse, ouvre et dilate tout notre cœur et donc celui de toute notre famille. Elle nous introduit spontanément et ensemble dans un amour plus grand de Dieu et des uns pour les autres, tout en facilitant l’intégration – élément appréciable – de la turbulence des petits ou des états d’âme des ados ! Dans ce monde cérébral, sérieux et angoissé, la louange en couple et en famille est comme un canal privilégié d’ouverture à la grâce, de pacification et de recentrage sur ce qui doit être le moteur et l’épicentre de nos vies : l’amour de Dieu et la joie d’en vivre !
Cette forme de prière n’est pas exclusive, elle débouche sur l’écoute de la Parole de Dieu, sur l’intercession et la compassion, sur la prière avec Marie, la prière silencieuse ou l’oraison…et s’inscrit aussi dans une prière liturgique simple.
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Connaissant notre faiblesse, il est plus que nécessaire de se donner des rythmes et des points de repère connus et validés par tous : dans certaines familles les grands sont accaparés par leur travail en semaine et ne peuvent participer systématiquement à la prière des plus petits, alors que dans d’autres, cela ne pose pas vraiment de problème ; priorité sera donnée parfois à la prière lors des repas, ou au partage de la Parole du dimanche, à un temps de prière quotidien ou hebdomadaire ; parfois la bagarre pour allumer ou éteindre les bougies, l’excitation des petits, les visages si épanouis de nos ados à certaines périodes, ne nous facilitent pas la tâche ! Dans des familles avec des ados et pré-ados plus particulièrement pudiques ou incertains au plan de la foi, priorité pourra être donnée à un engagement de prière ou de lecture personnelle ; le chapelet ou la récitation d’une dizaine est aussi un moyen humble et fructueux de prier ensemble.
L’important est pour les parents de discerner, au moins avec les plus grands, ce qui est juste et nécessaire à une période donnée, tout en recueillant un minimum d’accord collectif ; puis de tenir le cap, tant bien que mal, malgré les inévitables aléas familiaux. La fidélité des parents à la prière malgré les hauts et bas de la vie de famille demeure un signe pour les enfants : la prière n’est pas une obligation, c’est l’amour de Jésus qui nous oblige…
Enfin, il nous faut souligner l’importance d’un lieu de prière dans la maison : si la prière est pour nous une priorité, un lieu spécifique pour cela est signe pour tous de la place laissée à Dieu dans notre espace familial : oratoire, coin de prière, placard-chapelle, étagère ou dessus d’une cheminée… chaque famille a ses astuces. La Parole, les bougies, les icônes, les dessins des enfants, les petits papiers d’intercession,… chaque famille a son style, d’ailleurs la créativité des enfants dans ce domaine est souvent sans borne et parfois débordante ! Nous pourrons en varier la disposition et la composition en fonction des temps liturgiques et des fêtes. Et si parfois il y a accumulation d’objets chers aux enfants, rien n’empêche que chacun ait son coin à lui dans sa chambre !
Les chrétiens ont été interpellés par Jean-Paul II proclamant au monde lors de son élection « N’ayez pas peur ! Ouvrez les Portes au Christ ! ». Osons à notre tour accueillir cet appel de l’Eglise au XXI° siècle : « Couples et familles, n’ayez pas peur du Christ ! Ouvrez vos couples et vos familles à la vie de l’Esprit » !
La prière et la foi sont les ciments déterminants de notre amour pour le bonheur auquel nous aspirons. Accueillons le Christ au cœur de nos vies, sachons prier et célébrer ensemble. C’est là un trésor inestimable qu’on regrette d’avoir méconnu ou délaissé pendant tant d’années lorsqu’un jour, on commence à en goûter les fruits ! Chacun étant ressourcé par la prière, recentré sur l’essentiel, nous pourrons alors nous émerveiller de voir nos vies de couple et de famille se construire sur de solides fondations intérieures : de la prière et de la louange vient le vrai souffle de la joie et du bonheur auxquels chacun de nous aspire.
[1] Mat 18, 19-20
[2] Mat 17, 20
[3] Luc 17, 5
[4] Jc 4, 3
[5] 1 Jn 5, 14
[6] Mat 5, 23-24
[7] Rm 10, 13
[8] Jn 2, 1-12
[9] 1 Rois 17, 8-15
[10] Même fatigués ou avec des temps surchargés, on a toujours – selon les centres d’intérêt des uns ou des autres – du temps pour regarder un film ou match à la télé, faire plusieurs heures de sport ou de gym par semaine ou lire un roman qui nous passionne etc.
[11] Ne pas confondre avec les gestes liés aux 7 sacrements et réservés naturellement aux ministres ordonnés par l’Eglise.
[12] Mc 11, 24
[13] Jean Paul II – « La Lettre aux Familles » – § 22
[14] Cf. l’excellent livre : « C’est fête chez nous » Editions Novalis/ Cerf
[15] Eph 5, 18-19